Fabriquer mieux grâce à la RSE
Nous parlions dans notre précédent article de La RSE des marques de mode avec Catherine Marcadier Saflix, fondatrice de En mode Création(s) et experte des questions sociétales et environnementales dans l’univers de la mode.
Découvrez ici, dans la suite de son interview, ses conseils et outils pour les marques désireuses d’améliorer leur RSE avec bon sens et efficacité.
Slöer
Avez-vous une typologie particulière de marques que vous accompagnez ?
Catherine M.S
Je peux être amenée à accompagner tout type de marque… Mais j’accompagne davantage des plus jeunes marques ou des marques pas encore très importantes ou très installées. Il y a une certaine agilité, une certaine souplesse (NDLR avec ces marques). Elles veulent, dès le départ, très bien faire. Et finalement, je trouve important dans mon accompagnement de pouvoir les rassurer sur ce qu’elles font déjà, sur ce qui reste effectivement à faire, … sur l’identification des priorités.
(Il s’agit de définir) comment aller vers un modèle plus vertueux ? C’est davantage le chemin qui est important que l’objectif lui-même…
Slöer
Avec Slöer, nous avons affaire à des marques qui depuis toujours ont fait un certain nombre de choses (pour fabriquer mieux). Elles ont été les premières, par exemple, à faire du coton bio. Aujourd’hui, cela s’est tellement démocratisé qu’elles n’arrivent plus à se sourcer dans ces matières écologiques. Elles sont donc toujours en train de rechercher des nouvelles solutions pour avoir un temps d’avance et être, parfois même, précurseurs.
Ces marques qui n’ont pas forcément les moyens d’être accompagnées, est ce qu’il y a des guides, des éléments qui peuvent les aider à prioriser ? Parce que ce qu’on ressent, c’est cette difficulté à prioriser, à savoir ce qu’elles doivent faire. Ce sont elles qui souvent ont envie de très bien faire, quitte à se mettre beaucoup de pression… Et au final, elles sont un peu perdues parce qu’on lit un peu tout et n’importe quoi sur certaines (solutions).
Est ce que vous avez des conseils à leur donner ?
Catherine M.S
Si on parle du sujet des matières, … une étude, qui a été faite par La Belle Empreinte pour Lautrec Paris, a mesuré que le choix de la matière première représentait 63 % de l’empreinte totale. C’est extrêmement important. Ce n’est pas suffisant parce qu’il faut regarder d’autres facteurs. Ce n’est pas uniquement le choix de la matière qui va être déterminant pour dire « Je suis vertueux », mais c’est quand même extrêmement important dans la démarche globale.
(Ensuite), dans le choix de la conception des vêtements, je pense que ce qui est essentiel, c’est de déterminer vos exigences au niveau esthétique, en termes de qualité, pour essayer d’adapter vos choix de matières. Il faut trouver, en fonction des produits que vous proposez, le type de fibre qui va être appropriée et finalement, sélectionner celle qui va avoir le plus faible impact possible par rapport à votre démarche.
C’est davantage le chemin qui est important, que l’objectif lui-même.
Catherine Marcadier-Saflix
Au- delà du choix de la matière, il y a d’autres critères qui vont rentrer en ligne de compte. Par exemple, où est produite cette matière ? Où est ce qu’elle est retravaillée, traitée ? Puisque c’est ça aussi le sujet. Ce n’est pas uniquement l’extraction de la matière elle-même ou sa culture, c’est ensuite tout ce qui va être nécessaire pour l’ennoblissement, la teinture, la confection, etc. C’est une démarche qui permet d’identifier des points clés avec l’analyse du cycle de vie.
Par exemple, la Fédération du prêt à porter a publié aussi un guide de l’écoconception. Dans ce guide, vous allez trouver un outil qui s’appelle les roues des matières, qui va vous permettre d’identifier les clés de questionnement pour accompagner votre analyse et vos choix de matières. …
En première approche pour des jeunes marques, c’est déjà intéressant de regarder les guides qui existent, qui ont déjà été faits par les professionnels.
Parce que les fédérations professionnelles sont, notamment depuis deux ou trois ans, encore plus engagées sur ces dimensions. Elles ont un rôle d’accompagnement des marques ; vous pouvez donc vous appuyer sur ces fédérations pour essayer d’avoir des pistes.
Il y a aussi des organismes comme l’ADEME qui vont pouvoir vous donner des éléments chiffrés avec des indicateurs clés, etc. Mais parfois avec un côté un peu technique.
L’organisme ReFashion qui s’occupe de la collecte a aussi une expertise et organise régulièrement des webinars sur tous ces sujets.
Parfois, au niveau territorial, vous avez aussi des choses qui se mettent en place. Je pense notamment au Fashion Green Hub dans la région des Hauts de France, qui a installé aussi une plateforme à Paris depuis le début de l’année.
.. Ce qui est compliqué, c’est (d’avoir par exemple) un tableau avec les impacts carbone de chaque matière… La question est un peu plus complexe que ça. Évidemment, sur le papier, le lin et le chanvre sont les plus éco responsables et les plus vertueux. Mais si aujourd’hui, si on souhaite relocaliser le tissage, la filière en France, c’est parce que certes, la France est le pays qui est le plus gros producteur de lin, mais on en voyait la matière en Asie !
Il y a donc beaucoup de choses qui se mettent en place, et il faut avoir une vision globale. C’est en ça que l’accompagnement d’un expert peut être intéressant, (pour) vous permettre de définir vos priorités pour ne pas vous disperser, et ne pas vous noyer dans des tas de concepts qui, finalement, ne seront pas forcément utiles au développement de votre marque.
Slöer
Effectivement, les chantiers tels que relocaliser sa production ou changer ses matières premières sont de gros chantiers. Il faut donc prioriser et voir dans quelle mesure on relocalise. Si on est sur une fabrication européenne, par exemple, ce n’est pas le même impact (ndlr : que l’Asie).
Catherine M.S
Tout à fait. Vous avez raison, les lieux de production sont extrêmement importants aussi.
Et si on aborde la question des fournisseurs, si vous avez aujourd’hui des fournisseurs qui travaillent à tel ou tel endroit, et qui ont eux-mêmes mis en place des éléments pour favoriser leur éco responsabilité et développer une stratégie RSE, cela suppose (…) un enjeu de traçabilité important.
(Vous allez devoir) identifier d’où viennent vos matières, par où elles passent, etc. C’est là que vous allez pouvoir mesurer les impacts, qu’ils soient sociaux ou environnementaux.
Si vous travaillez déjà avec des fournisseurs, vous n’allez pas leur dire du jour au lendemain « Non, vous n’êtes pas assez vertueux », parce que ce sont des emplois aussi qui sont en péril. Sauf si vraiment c’est un fournisseur qui serait totalement dans l’illégalité. Mais je parle de quelque chose de relativement raisonnable. Il va accepter de rentrer dans une démarche RSE si elle n’a pas encore été mise en place et donc, finalement, vous allez avancer ensemble… (Bien sûr) il faut quand même lui donner un certain délai. Et si, à partir de ce délai, il n’a toujours rien mis en place, vous serez tout à fait légitime à changer de fournisseur.
Mais il ne s’agirait pas sous couvert de dire « Je souhaite améliorer mon impact environnemental » d’avoir un impact social dégradé… On revient toujours à l’équilibre des différents piliers.
Si vous avez une équipe de 20 personnes et que vous souhaitez vraiment vous embarquer dans ces dimensions RSE, vous n’allez pas licencier cinq personnes parce que ce ne sont pas des spécialistes de la RSE. Soit vous les formez en interne, soit vous recrutez des gens complémentaires. (Ce sont) des accompagnements à la transformation, à la réorganisation. Mais il ne s’agit pas, même si l’objectif est louable, que du jour au lendemain, vous vous retrouviez à mettre en place des actions qui auraient des impacts tout aussi négatifs !